samedi 19 septembre 2015

Les patients en otage

Un patient en otage. L'histoire de Rachid Benabbou, 36 ans, c'est celle d'un combat pour sa santé face aux rouages imprévisibles du système. Au mois de mars, cet Avignonnais a eu la malchance d'avoir une crevaison. Au moment où il réparait sa roue, le cric a lâché. Rachid a reçu le poids de sa voiture sur sa main. Diagnostic à la clinique Saint-Roch de Cavaillon, où il a été transporté : fracture déplacée du 2e métacarpien associée à une lésion partielle du tendon de l'extenseur du 3e métacarpien et une fracture non déplacée du 4e métacarpien de la main droite. Broche sur le haut de la main et points de sutures à l'issue de l'opération.
Le chirurgien prescrit alors un arrêt de travail pour maladie de 2 mois à ce contrôleur qualité dans la métallurgie. En début de semaine dernière, ne parvenant toujours pas à ouvrir sa main complètement, Rachid Benabbou se rend donc chez son médecin traitant pour prolonger son arrêt maladie. C'est là que ses ennuis commencent. Dans la salle d'attente du cabinet de ce généraliste avignonnais, Rachid Benabbou comprend qu'il n'aura pas le document qu'il est venu chercher. Placardé sur la porte, ce petit mot du médecin : "Mes chers patients (...), je me vois dans l'obligation de ne plus prescrire d'arrêt maladie ni d'arrêt en accident du travail à partir de ce jour (le 5 janvier, ndlr.) pour une durée minimale de 6 mois. Tous mes arrêts seront pour la 3e fois contrôlés (par la CPAM, ndlr.) et je me refuse à vous faire subir une nouvelle fois cette infamie incompatible avec le fondement de la médecine (...). Je vous demande donc, et j'en suis profondément troublé, dans votre intérêt, de changer de médecin référent et de vous renseigner auprès du Dr Voisin (médecin-conseil chef de la CPAM, ndlr.)".

"Comme si j'avais 200 % de malus et que je cherchais à m'assurer"

"Mon médecin m'a expliqué qu'il avait subi des contrôles et qu'il ne pouvait pas me faire cet arrêt, raconte Rachid Benabbou, qui, prenant son généraliste au mot, se rend à la Caisse primaire d'Assurance-maladie. Là-bas, on lui explique que c'est bien à son médecin qu'incombe la rédaction de ce nouvel arrêt de travail. Il retourne alors le voir, mais son toubib refuse à nouveau de lui délivrer la prescription. Retour à la CPAM. Cette fois, une dame lui suggère de se rendre aux urgences. À l'hôpital, un urgentiste lui explique que c'est à la Maison médicale qu'il doit se rendre... Là, un médecin l'invite à lire une feuille collée au mur : "La Maison médicale ne délivre pas d'arrêt de travail".
Alors, Rachid Benabbou se tourne vers SOS médecins. Refus, à nouveau. Las, il finit par faire le tour de six médecins généralistes à Avignon qui lui répondent la même chose et ajoutent qu'ils soutiennent la démarche de son médecin traitant... "En fait, plaisante l'intéressé, c'est comme si j'avais 200 % de malus et que je cherchais à m'assurer". Sauf qu'après cette interminable tournée de cabinets médicaux, Rachid n'a toujours pas son arrêt de travail.
Après tous ces va-et-vient, ce père de famille a finalement reçu une convocation l'invitant à se présenter au Dr Voisin. Le jour J, jeudi dernier à 9h59, comme l'indiquait sa convocation, le médecin n'était pas présent. Il a été vu par une autre professionnelle, qui lui a répété bien comprendre ses difficultés -- "votre arrêt est justifié" --, mais qu'elle ne pouvait rien faire... En définitive, elle l'a invité à se rapprocher de la clinique Fontvert pour sa prescription, et lui a conseillé d'écrire au Conseil de l'Ordre pour expliquer sa situation, de faire une copie au directeur de la CPAM et au médecin-conseil. Détail d'importance : Rachid Benabbou, qui a la main droite fracturée ne peut pas écrire...
Sa broche doit lui être retirée début juillet. D'ici là, Rachid Benabbou espère avoir trouvé un généraliste pour prolonger son arrêt. Contactée, la CPAM s'en prend vivement à son médecin généraliste. Le Conseil de l'Ordre, lui, ne peut prendre aucune sanction. Et pendant ce temps, Rachid n'a toujours pas été prolongé en arrêt maladie. Quant au déficit de la Sécu...

"Un professionnel n'a pas à justifier un refus de soins"

Au Conseil départemental de l'Ordre des médecins de Vaucluse, on commente la situation de M. Benabbou avec prudence, le conseil ne disposant d'aucun pouvoir disciplinaire. "Il n'y a aucun article du code déontologique portant sur un refus d'un médecin à l'encontre d'un patient, explique le Dr Bernard Arbomont. Si un praticien estime que sa façon de travailler ne correspond plus à sa parentèle, il peut refuser un patient, sauf en cas d'urgence bien sûr. Et il n'a aucune explication à donner. Le patient peut porter plainte, et le médecin être placé sous contrôle de la CPAM, le Conseil de l'Ordre tentera une conciliation mais n'a pas à sanctionner. Cette plainte a donc toutes les chances de faire long feu, même si on peut ne pas apprécier l'attitude du confrère. En tous les cas, il était inutile d'orienter M. Benabbou vers les urgences et la Maison médicale qui ne délivrent pas d'arrêt de travail. Je conseillerai à ce monsieur de retourner voir le chirurgien qui l'a opéré et qui peut lui faire une prolongation".

"Ce médecin n'est pas interdit de prescrire"

La Caisse Primaire d'Assurance-maladie (CPAM) n'est pas en conflit avec le médecin traitant de M. Benabbou. C'est en tout cas ce qu'affirme Dominique Letocart, directeur de la caisse vauclusienne. "Ce médecin fait l'objet d'un ciblage national par la CNAM parce qu'il a prescrit trop d'arrêts de travail pour maladie. Il est classé dans une procédure MSAP, mise sous accord préalable : cela signifie qu'à chaque fois qu'il prescrit un arrêt de travail, le médecin doit le subordonner à l'avis de la CPAM". Selon le directeur de la CPAM, une cinquantaine de médecins sur 100 000 en France ont été ciblés et font l'objet de contrôles après avoir prescrit des arrêts maladie injustifiés. Trois d'entre eux exerceraient en Vaucluse, dont le médecin traitant de M. Benabbou. Sans parler de "quotas" de nombre d'arrêts de travail pour maladie prescrits par ces généralistes, il existe une moyenne sur laquelle se fonde la CPAM pour sanctionner certains praticiens dont elle estime le nombre d'arrêts de travail infondé. Serait pris en compte pour la calculer le nombre moyen de congés maladie et de journées d'arrêts prescrits dans chaque région. Les médecins jugés "trop prescripteurs" sont alors rappelés à l'ordre par la caisse. Ce qui, évidemment, n'est pas du goût de tous.
"Nous nous interrogeons sur le fait qu'un seul médecin (celui de M. Benabbou, ndlr.) capte autant d'arrêts de travail par rapport aux autres", explique M. Letocart, qui réfute en revanche le fait que la CPAM interdise à ce généraliste de prescrire des arrêts. "Il n'est pas interdit de prescrire, contrairement à ce qu'il écrit dans son cabinet. Quand il prescrit un arrêt de travail, il doit transmettre une copie à la CPAM dans le cadre de la MSAP. Le médecin de M. Benabbou dit que je le harcèle à tout son cabinet et me cite, ainsi que le Dr Voisin, c'est déplacé. J'aurais pu déposer une plainte pour diffamation depuis longtemps. La vérité, c'est que depuis trois ans, il y a des procédures, et à chaque fois la CPAM gagne. Je souhaite à ses patients qu'il ne leur arrive rien. Cela relèverait de sa responsabilité médicale..."

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